Carole Jézéquel

COMMISSAIRE PRISEUR

« OBJETS INANIMÉS, AVEZ-VOUS DONC UNE ÂME QUI S’ATTACHE À NOTRE ÂME ET LA FORCE D’AIMER ? »

Comme bien des artistes passionnés : Degas, Gauguin, Kandinsky, Carole Jézéquel, commissaire-priseur à Rennes Enchères a commencé par faire son droit. Pour rassurer ses parents. Elle rêvait alors de l’Ecole Boulle, de l’Ecole du Louvre, d’un métier artistique. Déjà attirée par le bel objet, déjà sensible au travail de la main.

Coup de foudre à Douarnenez

A la faculté de droit de Brest, Carole se plie vite à l’esprit cartésien, tout en s’interrogeant sur la voie à suivre. C’est alors que le destin la met en présence de Maître Thierry, commissaire priseur à Brest. A l’issue de sa maîtrise, il lui propose un stage dans son étude. Cet été-là, l’exposition publique qui précède la vente aux enchères se tient à Douarnenez.

Carole est émerveillée, conquise « à un point qu’elle ne pouvait imaginer » : les objets et leur histoire, la foule des amateurs, les rencontres avec les collectionneurs et les experts, l’ambiance à la fois chaleureuse et électrique. Bref, « une révélation » et l’assurance d’avoir trouvé le moyen de concilier le droit et l’art.

L’expérience du terrain

Engagée comme clerc à l’étude Thierry & Lannon, elle apprend vite le métier avec « toute liberté » pour elle de se former à l’histoire, à la géographie et à l’art et ainsi de se préparer à l’examen. Après trois ans à Brest, cap sur Granville, puis escales à Fontainebleau, Corbeil-Essonnes, à tous les postes d’une maison de ventes aux enchères. Cette expérience du terrain sera son atout. En 2001, arrivée à Rennes à l’étude Livinec-Pincemin-Gauducheau et création de Bretagne Enchères autour de deux pôles : les automobiles et l’art. En 2011, à la suite de la création de Rennes Enchères, Carole prend en main l’expertise et les ventes d’objets d’art et de collection. Avec l’ambition de les développer. Elle s’entoure alors d’une équipe aussi compétente que soudée et des meilleurs experts. Pour Carole, la qualité des échanges et les liens tissés avec son équipe sont « une des joies du métier ». Avec, bien sûr, « la rencontre avec les objets au travers de ceux qui les vendent, les achètent, les expertisent ».

Le premier coup de marteau

A lui seul le marteau de commissaire-priseur résume le métier : « Adjugé, vendu ! » Carole a reçu le sien de son maître de stage. Tradition oblige, le nouveau commissaire-priseur donne son premier coup de marteau pour un objet choisi pour lui. Ainsi, Carole a enchéri pour une fourchette d’argent, tordue certes, mais qui, surprise, portait son monogramme, C.J. Ce marteau spécialement conçu pour elle, plus court et plus léger que celui de ses confrères masculins, a bien rempli son office. Elle utilise aujourd’hui un marteau créé par Alain Hérou à partir d’un fanon de baleine. Il a toutes les qualités : léger, souple et rigide. Une pièce unique !

Du rêve et de l’émotion

La vente aux enchères est l’aboutissement d’un travail orchestré de main de maître par le commissaire-priseur et son équipe, trois mois durant. Avec une certaine excitation : « le plaisir de créer l’événement, de mettre en scène les objets, de les faire revivre ». « Comme un acteur sur la scène », Carole Jézéquel aime captiver son public, le tenir en haleine, ménager surprises et rebondissements, « le séduire comme le faisaient si bien Maître Hervé Poulain, et Maître Cornette de Saint-Cyr ». En un mot « offrir du rêve ».

Quand l’objet vient à vous …

Le métier de commissaire-priseur est riche en découvertes. Carole a en mémoire des ventes extraordinaires. Le 12 octobre 2008, la toile du peintre pointilliste Maximilien Luce, (1858-1941), Le port de Saint-Tropez, 1893, restée dans la même famille depuis cent ans, est adjugée 970 000 euros ! Un hymne à la lumière ! Le 1er avril 2012, les 42 toiles inédites du peintre symboliste Henri Martin (1860-1943) découvertes à Rennes à l’occasion de l’inventaire d’une maison inhabitée depuis 1929 sont adjugées 3,4 millions d’euros. Inimaginable pour Carole. Qui ne mesure pas tout de suite la portée de l’événement. Le 24 mars 2015, c’est un violon de Vuillaume, le « Stradivarius français » (1798-1875), expertisé à Rennes par Alain Hérou lors d’une journée d’estimations gratuites, qui déchaîne les passions. Après l’avoir entendu sonner et vibrer, Carole gagnée par l’émotion, le vend 169 400 euros. En juin 2015, coup de foudre pour l’étonnant vase-cigale d’Habert-Dys (1850-1928). Dès le premier regard, l’objet fascine Carole : son originalité, son histoire, celle de sa propriétaire, le talent de l’artiste. Les recherches sont fructueuses. L’artiste oublié passe de l’ombre à la lumière. Dans le feu des enchères, la cigale est adjugée 196 000 euros !

Les charmes de la vente en salle

Avec la dématérialisation des ventes et les enchères digitales « en live », le public vient moins nombreux dans la salle des ventes. Carole le regrette vivement. Pour elle, ce qui fait le charme, la vie, le sel de la salle des ventes, c’est le contact avec les vendeurs, les acheteurs, « la joie d’être pour eux un intermédiaire ». S’il y a moins de grands collectionneurs, la clientèle s’élargit. Carole est « heureuse d’accompagner », d’éclairer les amateurs, de susciter et de satisfaire leur curiosité, de les aider à concrétiser leur rêve : « acquérir un objet qui ait une histoire ».

Invitation au voyage

Parce qu’elle a vécu en Algérie, en Nouvelle-Calédonie, au gré des affectations de son père, médecin militaire, Carole a une forte attirance pour les objets exotiques qui invitent au voyage dès le premier coup d’œil « par leur force symbolique ou rituelle. » Elle adore aussi la sculpture avec ses bronzes classiques du XIXe siècle. Ils dégagent « tant de puissance » magnifiés par la patine. Enfin, Carole ne cache pas son intérêt pour la peinture contemporaine : « II est si important d’encourager la création, de soutenir les artistes ».

« Haute curiosité »

Carole Jézéquel aime citer Maurice Rheims (1910-2003), le grand commissaire-priseur chargé en 1973 de faire l’inventaire de la dation Picasso. Pour Maître Rheims, il y avait trois types d’acheteurs : les collectionneurs, les amateurs et les curieux. Carole se range parmi les curieux. « C’est l’objet qui vient à vous » , répète-t-elle en se remémorant un délicieux tableau de « Marie-Madeleine à la fontaine », d’une « telle douceur », d’un tel magnétisme qu’elle ne put résister au plaisir de l’acheter. « Objets inanimés, avez-vous donc une âme qui s’attache à notre âme et la force d’aimer ? » Ces mots de Lamartine viennent spontanément à l’esprit de Carole chaque fois qu’elle présente un objet ou un tableau sur son chevalet d’acajou. Il a été créé spécialement pour elle par son grand-père menuisier-ébéniste. Si fier de sa petite-fille devenue commissaire-priseur !